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Des pas dans l'escalier

          « C'est pas vrai, déjà! », elle l'avait envoyé faire les courses, elle pensait en avoir pour au moins une heure. Raté. Même plus assez de temps pour elle même. Il y a quelques secondes, elle était en pleine montée, elle était presque bien. Et là, quelques bruits dans l'escalier, et plus rien, plus de sensations, juste l'énervement d'être dérangée. Devoir attendre la douche ce soir. En attendant, trouver une parade. Il était devant la porte, elle était sur le lit, juste en t shirt et chaussettes. Se rhabiller en vitesse? Filer dans la salle de bains? « remarque, foutu pour foutu, autant essayer! ». elle enleva les chaussettes, ajusta un peu le t-shirt pour faire ressortir ses seins, attendit. La porte qui claque, les sacs plastiques sur la table de la cuisine, les chaussures qui tombent au sol. Quelques secondes encore, et voilà.

  « Salut! », pas terrible comme entame, mais elle n'avait pas eu le temps de trouver autre chose. Au moins le ton de la voix suffisait à faire passer le message. Et pour être sûre de se faire comprendre, elle accompagna son mot d'un long et lent mouvement, comme un chat qui s'étire.
« - qu'est ce que tu fais là?
   - je pensais qu'on aurait le temps, aujourd'hui...
   - du temps? Non, j'ai encore du boulot. Ce soir peut être. »
         Il était déjà dans le couloir quand il finit sa phrase. Bon. Ça, au moins, elle l'avait prévu. Tout comme elle prévoyait déjà la soirée. Cuisine, repas, vaisselle, boulot, télé, et puis juste avant de dormir, si il n'est pas trop fatigué, l'amour. Vite fait, mal fait. Et si prévisible. Toujours les mêmes approches, bien trop sommaires pour qu'elle les appelle préliminaires. Et après, les quelques courtes minutes où il se prend pour un étalon, et puis c'est tout. Encore une fois elle n'éprouverait au mieux qu'un vague plaisir. Quoi qu'il en soit, l'heure n'était pas aux plaintes. Elle s'habilla en vitesse. Un bas de survêtement à même la peau et le t-shirt. La récré était finie. Il était temps de revêtir le rôle de la petite femme parfaite. Il restait quelques heures pour finir la journée. Lessive et repassage. L'écouter raconter sa journée, faire semblant de s'y intéresser. Lui préparer le repas qu'il aime, lui laisser la télé pour le match de foot. Et pendant tout ce temps, elle gardait avec elle l'excitation de ces jeux du début d'après-midi. Et elle devait attendre ce soir pour l'apaiser.
          Elle avait l'habitude maintenant de ces après-midi, à cheval entre sa frustration et son envie. Ça faisait tellement longtemps. Elle pouvait compter en années plus qu'en mois. Et  lors de chacun de ses longs moments, elle se souvenait, elle imaginait aussi, des nuits d'amour entières, passionnées, brûlantes, interminables. Le frisson d'une main qui effleure la peau, la chaleur d'une bouche, la douceur d'une caresse, se sentir possédée, se sentir envahie. Toutes ses choses qui étaient étrangères à son quotidien. Toutes ses images qui s'imposaient à elle dans ses moments d'intime solitude, qui l'aidaient à s'enfuir.
          Finalement, les heures passèrent vite. Elle trouva suffisamment de choses inutiles à faire de toute urgence. C'était déjà l'heure du match. Elle redevenait transparente. Une fois devant son match, rien d'autre ne comptait. Elle se fit la remarque une fois de plus: « il pourrait bien se passer n'importe quoi dans le salon, il ne le verrait même pas... » Elle s'arrêta nette dans sa pensée. « Et si je..., non! ...après tout, ça doit ... trouver un alibi...si ça ne marche pas, trouver une échappatoire... non, c'est trop risqué...et puis merde! » Elle récupéra son livre sur la table de chevet, dénoua un peu le cordon de son pantalon de jogging et revint au salon où les visiteurs avaient déjà ouvert le score, et, à en croire son visage, c'était une mauvaise chose. Elle s'installa près du bureau. De cette manière, chacun ne voyait que le haut du corps de l'autre. Elle posa le livre sur le bureau, et le tint ouvert de sa main gauche. Elle hésitait encore, mais elle sentait qu'elle allait le faire. Elle en avait trop envie. Déjà elle avait un peu glissé sur la chaise, ses fesses dépassant légèrement de l'assise. Les jambes légèrement écartées. Elle était prête.
« Yah !». Le cri la fit sursauter. Elle se redressa d'un coup. Les locaux avaient égalisé. « Tiens, t'es là? ». Elle ne répondit pas. Il n'attendait pas de réponse, il était à nouveau dans le match. Elle tremblait de partout, de cette peur qu'a une enfant d'être surprise en train de faire une bêtise. Attendre la seconde mi-temps. Elle gardait les yeux sur le livre, sans vraiment lire, juste arrêter de trembler. L'arbitre siffla la mi-temps, pause rituelle toilettes et cuisine pour recharger en bière. Elle tremblait toujours un peu. Elle avait adoré cette angoisse, cette peur soudaine. La décharge d'adrénaline. Elle attendait pour la première fois avec impatience que le match reprenne. Il était à nouveau calé dans le canapé, l'écran repris une couleur dominante verte, elle glissa à nouveau sur la chaise, écarta à nouveau un peu les jambes. Par chance le match semblait passionnant. C'était le bon moment.
         Sa main gauche maintenait toujours le livre, la droite reposait sur sa cuisse. Elle la fit remonter le long de son bas de jogging jusqu'à la taille, souleva juste ce qu'il fallait le t-shirt et glissa tous ses doigts sauf le pouce dans le pantalon et tira sur l'élastique pour avoir sa main bien en place. Elle commença  doucement avant de reprendre là où elle s'était arrêter plus tôt. Mais la peur de se faire surprendre ajoutait des sensations nouvelles. Le goût de l'interdit, l'impression de faire quelque chose de « mal ». Sensations nouvelles et agréables, très agréables. Le plaisir montait plus vite que d'habitude. Plus elle était excitée, plus elle jetait des coups d'œil vers la télé, pour ne pas se faire surprendre. Sa main gauche serrait de plus en plus le livre. Elle faisait aussi attention à ne pas trop bouger pour ne pas se trahir. Mais le plaisir finit par devenir le plus fort, et elle oublia sa surveillance, elle ne voulait plus qu'une seule chose, en finir. Penchée vers son livre, la main gauche agrippant la table, la main droite impossible à arrêter. Elle mordit sa lèvre inférieure pour ne pas crier. Enfin.
Ça n'avait jamais été aussi fort, jamais seule. Juste après, l'angoisse s'installa, « Est-ce qu'il a vu quelque chose? ». Elle n'osait pas tourner la tête. Trop peur de croiser ses yeux choqués ou paniqués. Elle osa lentement un regard de coin dans sa direction. Il avait les yeux rivés sur l'écran, passionné par des mecs en shorts qui tapent dans une baballe. Elle commençait à se détendre, à profiter vraiment des retombées de son plaisir. Elle essayait de reprendre son souffle. Sa lèvre lui faisait un peu mal, elle avait du se mordre vraiment fort. Elle réajusta son pantalon, se rassit correctement et commença à lire. Son corps était encore tellement sensible. Elle s'amusait à bouger ses jambes l'une contre l'autre pour ressentir des soubresauts, des petits restes de plaisir pour continuer un peu l'instant. Impression douce que rien n'a d'importance à part ressentir son corps, laisser couler les minutes. Coup de sifflet final. Il a l'air heureux:« C'était vraiment un super match ». Elle ne put s'empêcher, dans un sourire « j'ai trouvé aussi ». Il ne releva même pas l'étrangeté de la remarque.
          « Je ne suis pas fatigué, on s'abrutit devant la télé? ». Cette phrase là aussi, elle l'avait prévue. Émissions de fin de soirée, talk-shows débiles, discussions autour des thèmes éternels. Ce soir, « la fidélité ». Intervieweur débiles et interviewés crétins. Mais, comme souvent, il ne pouvait pas s'empêcher de ramener à sa situation ce qu'il entendait dans ces programmes abrutissants devant lesquels seul l'insomniaque, au bord de ses ennuis nocturnes, à une raison valable de rester. « Tu sais, j'ai souvent peur que tu ailles voir ailleurs. C'est important la fidélité ». Elle préféra ignorer la niaiserie avec laquelle avait été formulé la dernière phrase. « Ne t'inquiètes pas, il n'y a pas de raison.». Elle garda pour elle le reste de sa réponse « tu m'apportes la sécurité, l'assurance de ne pas être seule, et l'importance que j'ai parfois pour toi me rassure. Bien sûr tu ne me feras jamais jouir, mais tant que je peux palier seule ta faiblesse, je n'ai pas de raison de trouver un autre amant. Même si parfois je le désire vraiment. Même si souvent je regrette mes anciens amants. Même si souvent j'en espère un nouveau. Tant que je me débrouille seule, tu n'as rien à craindre. »

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